De prime abord, on pourrait avoir tendance à le croire tant la phrase a été répétée jusqu'à plus soif et cuisinée à toutes les sauces depuis l'enfance pour nous faire culpabiliser de manger trop de sucreries au goûter. Maintenant que nous sommes adultes, il convient dès lors de mettre ce lieu commun en perspective pour le considérer à l'aune d'un regard nouveau : la gourmandise est-elle vraiment un vilain défaut ? Est-ce que nous devons culpabiliser de reprendre des frites ou du gigot d'agneau de tata Huguette ? Mais surtout : quand est-ce qu'on mange ?
Faute pour les moralistes, péché capital pour les catholiques
Très vite au cours de l'Histoire, à un temps que les moins de 1000 ans ne peuvent pas connaître, la gourmandise a été associée à un vice. Platon d'abord puis Épicure ensuite faisaient de la gourmandise un travers humain à éviter si l'on voulait arpenter avec sérénité les chemins du bonheur et de la paix de l'âme. Cela peut étonner dans la mesure où l'on qualifie couramment, et à tort, d'épicuriens les personnes qui aiment la bonne chère ; pour les épicuriens, la gourmandise finissait par soumettre l'individu à un plaisir dit « non nécessaire ». Au final, c'était donc vilain pas beau.
Au IVème siècle, le moine Évagre le Pontique, qui était aussi ascète qu'un saint, c'est-à-dire qu'il préférait sucer des cailloux plutôt que manger un magret de canard, classe la gourmandise parmi les sept péchés capitaux. Deux siècles plus tard, le pape Grégoire 1er associe la gourmandise à la luxure. Il décrit également les 5 manières de se vautrer dans la gourmandise :
Le moment : c'est-à-dire manger en dehors des repas. La problématique ici étant de déterminer les bons moments : si on mange sa compote de pommes à 13h01 parce qu'on a mis un peu de temps à finir ses lasagnes, est-ce un péché de gourmandise ?
La qualité : c'est-à-dire chercher de meilleures saveurs. En clair, choisir une truite plutôt qu'un colin.
Les stimulants : c'est-à-dire rajouter sauce et assaisonnement. En clair, manger une truite dorée au beurre et sertie d'amandes grillées plutôt qu'un colin bouilli dans une eau sans sel.
La quantité : c'est-à-dire manger plus que nécessaire. Là aussi, la problématique est de définir le nécessaire : si un cur de sucrine peut suffire à une adolescente, est-ce vraiment suffisant pour une haltérophile ?
Le désir : le pire de tous, c'est-à-dire prendre du plaisir en mangeant. Sachant que si les conditions 2 et 3 sont réunies, ça devient facile d'éviter celle-ci : qui peut décemment prendre du plaisir en mangeant un colin bouilli dans une eau sans sel ?
Distinction entre gourmandise et gloutonnerie
Au fil du temps et de la perte d'influence de la doctrine catholique sur les comportements individuels, la gourmandise est devenue de plus en plus acceptée voire même carrément louable : c'est la gloutonnerie, ou la goinfrerie, qui est à présent considérée comme « un vilain défaut ». Faire claquer ses papilles en croquant la chair fondante d'une Saint-Jacques à peine poêlée, c'est une qualité. Pousser des gémissements feutrés en mâchant un cur de saint-marcellin sur une gorgée de Vacqueyras, c'est une qualité. Frôler l'extase en goûtant un moelleux au chocolat rehaussé de noix et d'une crème anglaise vanillée, c'est une qualité.
Manger un cassoulet ou une carbonara après tout ça, c'est un vilain défaut. Et en plus, c'est mauvais pour les hanches.